L’existence d’une servitude d’écoulement des eaux usées, à la supposer constituée, ne justifie nullement que le fonds servant subisse un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Cour d’appel de Montpellier, 22 octobre 2019, n° 17/05205
Jugement TI de Carcassonne, 31 mai 2017, n° 11-15.366
Un couple exploitant deux gîtes sur leur propriété a saisi notre cabinet pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’il subissait en raison de graves nuisances, notamment olfactives, venant du fonds voisin.
En effet, la propriétaire voisine, une SCI qui exploitait une activité de chambres d’hôtes et de location de gîtes, n’était pas raccordée à l’égout communal mais était équipée d’une fosse septique installée en bordure de propriété de nos clients d’une capacité insuffisante à son activité de chambres d’hôtes.
La fosse septique étant largement saturée, elle causa un écoulement sur le terrain de nos clients de dépôts de matières fécales et boues putrides, provoquant des odeurs nauséabondes insupportables.
Malgré ces faits constatés et confirmés par une expertise judiciaire, la SCI voisine refusait de verser la moindre indemnisation.
Notre cabinet a donc assigné la SCI devant le Tribunal compétent en réparation des préjudices subis sur le fondement de la théorie du trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage en raison du préjudice de jouissance manifeste subi en raison des odeurs nauséabondes et des épanchements sur leur parcelle provenant de la fosse septique située sur la propriété de la SCI.
Le cabinet a obtenu gain de cause en première instance, le Tribunal jugeant la SCI responsable des désordres causés et la condamnant à leur payer des dommages et intérêts correspondant aux travaux de remise en état de leur parcelle mais également en réparation de leur préjudice de jouissance.
Le Premier Juge a repris notre argumentation selon laquelle l’existence d’une servitude d’écoulement des eaux usées dont se prévalait la SCI importait peu dès lors qu’à la supposer établie, nos clients, tenus de supporter la présence de la canalisation et du puits sur leur fonds, ne pouvaient être obligés de subir les débordements du puits et le dégagement d’odeurs nauséabondes.
La SCI a alors interjeté appel en soutenant, pour tenter d’échapper à sa responsabilité, que son fonds et celui de nos clients étaient originairement une seule et même propriété et que le découpage de cette propriété en deux lots a fait naître une servitude par destination du père de famille grevant le fonds de nos clients (fonds servant) au profit de celui du sien (fonds dominant), ceci pour conclure que nos clients devaient supporter cette servitude ainsi que ses conséquences sans ne rien pouvoir exiger d’elle.
Il n’y a destination de père de famille que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds dominant et servant ont appartenu au même propriétaire, que celui-ci ait établi un aménagement apparent et existant au moment de la division du fonds originaire et qu’enfin il n’y ait pas dans l’acte de division de stipulation contraire au maintien de la servitude.
Notre cabinet a relevé que les parties avaient acquis leur propriété respective d’auteurs différents ainsi que l’absence de signe apparent de la servitude invoquée.
La Cour a confirmé la décision attaquée et débouté la SCI de son appel en suivant notre argumentation ;
Elle a relevé qu’à supposer même qu’il ait existé dans le passé un auteur commun, l’article 693 du Code civil pose comme condition celle de démontrer l’intention de l’auteur commun qui a divisé le fonds d’assujettir l’un des fonds issus de la division au profit de l’autre, ce qui n’était pas démontré en l’espèce
En tout état de cause, à supposer l’existence d’une servitude d’écoulement des eaux usées venant grever le fonds de nos clients au profit de la SCI, l’existence de cette servitude n’imposerait aux premiers que de supporter la présence de la canalisation et du puits sur leur fonds mais en aucun cas de subir des débordements anormaux et des odeurs nauséabondes.
Enfin, la Cour a confirmé que le droit pour un propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue est limité par l’obligation qu’il a de ne causer aucun dommage aux tiers dépassant les inconvénients normaux du trouble de voisinage.
Ainsi, la SCI a été définitivement condamnée à indemniser nos clients de leur entier préjudice, à savoir à payer le montant des frais de dépollution de leur parcelle ainsi qu’aux dommages et intérêts demandés en réparation du préjudice de jouissance.